Au début des années 90, on vit une période difficile aux Îles de la Madeleine avec l’effondrement de l’économie traditionnelle des pêches, notamment lié au moratoire de la pêche à la morue et du poisson de fond. Si on veut sauver l’économie des Îles, on doit se baser sur le tourisme. Et pour y arriver, ça prend un plus grand bateau qui permettra d’augmenter le volume de visiteurs qu’on peut amener aux Îles, en plus d’améliorer l’offre de service à bord et ainsi viser un tourisme de calibre international.
Le remplacement du Lucy Maud met en lumière le caractère politique important du service de traversier pour l’archipel, mais aussi pour le Québec et le Canada. On voit à quel point le dossier a connu de nombreux rebondissements et soulevé les passions, car il aura fallu près d’une décennie de représentations et discussions pour finalement arriver à remplacer l’ancien traversier devenu désuet par le Madeleine (1997).
Remémorons-nous d’abord le contexte du début des années 90, où on assiste au conflit constitutionnel et à la résurgence de l’option souverainiste avec le référendum de 1995. Ce que ça veut dire : les rapports fédéraux et provinciaux sont déjà très tendus. Avec un navire qui traverse deux provinces du Canada dans ce contexte particulier où les intérêts s’entrechoquent, tout est réuni pour que la question de l’acquisition du nouveau navire explose et se transforme en une véritable saga politique !
Même si les démarches pour remplacer le Lucy Maud débutent au début des années 90, de longues années s’écoulent avant de voir le Madeleine accoster aux Îles pour la première fois. « C’est probablement l’échec référendaire de 1995 qui a finalement permis de faire aboutir le dossier. La pression venait de partout ! » (Raphaël Turbide, CFIM)
Le nœud du problème : la volonté politique de soutenir une industrie navale qui était déjà en déclin ici au Québec, particulièrement le chantier Davie. De son côté, la CTMA, qui se retrouve au cœur de cette saga, veut d’abord et avant tout défendre l’intérêt des Madelinots : on positionne l’importance de faire l’acquisition rapide d’un nouveau navire. Parallèlement, on doit composer avec les intérêts politiques, car ce navire sera l’acquisition du gouvernement et la CTMA n’a pas le capital nécessaire pour acheter ce bateau. « La CTMA est l’opérateur et se retrouve les mains liées par rapport à la situation politique.» (Raphaël Turbide, CFIM).
Le directeur général de l’époque, M. Roméo Cyr, et son équipe ont déjà l’expérience d’aller chercher des bateaux en Europe. On travaille donc à cibler quelques bateaux intéressants qui répondraient aux besoins des Madelinots, mais tout ceci est freiné par la volonté politique de construire un nouveau bateau à la Davie.
Longue attente qui mène à une compétition… éphémère
Les tergiversations politiques ralentissent la résolution du dossier, sans que les problèmes cessent de s’amplifier. La grande demande crée une ouverture pour la compétition.
En 1995, un projet se monte de faire concurrence directe à la CTMA en établissant une liaison Carleton – Les Îles. Les promoteurs de cette liaison louent un navire, le John Hamilton Grey, qui va faire une saison et ainsi contribuer à diminuer l’achalandage, la pression sur le traversier Lucy Maud. Bien que l’aventure n’ait duré qu’un été, cela démontre qu’il y a bel et bien un besoin : « L’arrivée de ce joueur éphémère montre aussi le besoin cruel de trouver des solutions immédiates à l’engorgement du système de transport aux Îles. » (Raphaël Turbide, CFIM)
Offrir un service de traversier vers les Îles est un défi imposant. Le projet ne survivra pas, car la traverse s’avère extrêmement coûteuse à rentabiliser. Lorsque la CTMA va finalement pouvoir opérer le Madeleine en 1997, la compétition n’est plus.
Une CTMA coincée dans une situation inconfortable
Choisir un nouveau traversier, ce n’est pas une mince affaire. Il ne faut pas se tromper, il faut faire le bon choix. À maintes reprises, la CTMA se manifeste dans les médias pour dire qu’elle est coincée dans cette situation et avec tous les intérêts politiques.
On explique que ce serait plus simple de faire l’acquisition d’un navire usagé qui coûterait beaucoup moins cher (20-25 M$) que de se lancer dans une construction qui nécessiterait des investissements majeurs (60-70 M$). Et au-delà de l’enjeu financier, une question encore plus fondamentale : « C’était une question aussi de pouvoir avoir un navire qui correspondait exactement aux besoins des Îles de la Madeleine. Faut comprendre que si c’est le gouvernement qui commissionnait la construction d’un nouveau navire, la CTMA oui aurait été consultée, mais n’aurait pas dirigé le dossier à leur convenance. » (Raphaël Turbide, CFIM)
Plus ça change, plus c’est pareil !
Tout ce temps, on prend de l’expérience, qui est clairement utile dans l’histoire plus récente de la CTMA. Les difficultés rencontrées ces dernières années dans le dossier du changement de navire et le besoin urgent de remplacer le Madeleine versus la volonté politique de construire un bateau à la Davie font drôlement écho aux enjeux des années 1990. On voit à quel point ces transactions pour acquérir de nouveaux navires sont extrêmement importantes, et demandent une logistique qui dépasse la simple question d’argent : on doit faire face à toutes les négociations politiques. « Ce que ça nous enseigne, c’est que peu importe l’époque, tant que les bateaux n’appartiennent pas à la CTMA, ça amène une participation politique qui n’est pas toujours évidente à gérer ! » (Raphaël Turbide, CFIM)
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Dans la prochaine chronique historique : Le service hivernal de traversier.